BUREAU A GRADIN D’EPOQUE LOUIS XVI ESTAMPILLE DE JEAN-HENRI RIESENER, VERS 1771 En placage de bois de rose, érable teint et loupe d'érable, alisier, houx, épine vinette, buis et amarante, ornementation de bronze ciselé et doré, le dessus de marbre blanc veiné gris en partie ceint d’une galerie ajourée, la partie haute ouvrant par deux rideaux à lamelles découvrant huit casiers et surmontant trois tiroirs (fermés), le plateau orné sur trois registres d’une nature morte composée de livres, boussole et branchages de laurier et d’un portrait dans un médaillon inscrit "MICHEL DE MONTAGNE 1592", flanquée de branchages fleuris, la partie basse ouvrant en ceinture par un tiroir (fermé) surmontant deux rideaux à lamelles à décor de bouquets de fleurs noués découvrant deux étagères et un coffre-fort associé, les montants à pan coupé surmonté d'un masque de bélier apposé sur des consoles feuillagées inversées prolongés par des pieds feuillagés, le tablier à décor d’un cartouche feuillagé, les c?tés à décor d’une marqueterie à la Reine, estampillée sur la traverse avant gauche J.H.RIESENER, avec une inscription sur le panneau central de marqueterie sur le plateau Riesener fecit 1771, traces anciennes de deux étiquettes ; importantes transformations (notamment: rideaux inférieurs remplacés, rideaux supérieurs situés à l'origine en partie basse) H: 148 cm. (58 in.) ; L: 102,5 cm. (40 ? in.) ; P.: 65 cm. (25 ? in.) Jean-Henri Riesener, re?u ma?tre en 1768
Cet élégant bonheur du jour porte la signature de Riesener et est également daté de 1771. Bien qu’ayant subi d’importantes transformations notamment aux volets, il reste à ce jour l’unique exemple que nous lui connaissons faisant de cette ?uvre une pièce à part dans sa carrière réunissant de nombreuses spécificités de l’ébéniste.
Né à Gladbeck en Allemagne Jean-Henri Riesener (1734-1806) entre dès l’age de 21 ans dans l’un des plus prestigieux ateliers parisiens alors sous la direction de Jean-Fran?ois Oeben (1721-1763) auprès de qui il fait toute sa formation. A la mort d’Oeben en 1763 c’est sa veuve qui reprend dans un premier temps le contr?le de l’entreprise puis Riesener en 1768, année où il obtiendra officiellement ses lettres de ma?trise lui donnant ainsi le droit d’estampiller en son nom. Marqué J. H. RIESENER notre présent meuble est l’un des témoignages de cette année charnière. Fort de ces années d’apprentissage et déjà doté d’un talent peu égalé, c’est à cette date que Riesener sera sollicité par le Garde-Meuble de la Couronne pour la réalisation d’?uvres majeures et ce durant plus de dix ans.
Les influences de Jean-Fran?ois Oeben
Sur ce meuble de début de carrière l’influence de son ma?tre Jean-Fran?ois Oeben se fait encore très présente. L’utilisation de ces panneaux de marqueterie à motifs géométriques est en effet très caractéristique d’Oeben. Nous retrouvons ces mosa?ques de rosaces parfaitement identiques sur sa table mécanique aujourd’hui conservée au musée du Louvre (J. Durand, M. Bimbenet-Privar, F. Dassas, Décors, mobilier et objets d’art du musée du Louvre de Louis XIV à Marie-Antoinette, Paris, 2014, pp. 386-387, OA 10404).
La chute de bronze en têtes de bélier, est également un modèle récurrent dans l’?uvre d’Oeben. Elle se trouve en effet sur la commode réalisée dix ans auparavant et conservée au Getty Museum (C. Bremer-David, Decorative Arts, an illustrated summary catalogue of the collections of the J. Paul Gety Museum, Malibu, 1993, p. 28, 72.DA.54). La frise d’entrelacs est également similaire à celle de notre bonheur-du-jour. Enfin, une seconde commode de ce fameux corpus provenant de l’ancienne collection Bensimon possède également ce type de chute (P. Kjellberg, Le mobilier fran?ais du XVIIIe siècle, Paris, 1989, p. 618).
Le cul-de-lampe en enroulement feuillagé est en revanche très caractéristique de la production de Riesener et était très souvent utilisé sur des meubles aux provenances les plus prestigieuses. Il décore notamment le tablier de la commode acquise très récemment par Versailles, en septembre 2018, fabriquée et livrée pour Madame Adéla?de en 1776 (inv. 2018.25). Citons également la commode du cabinet de retraite de Louis XVI originalement à Fontainebleau puis à Versailles dans la bibliothèque réalisée bien plus tard en 1778 dont le cul-de-lampe et le piétement sont parfaitement semblables. (D. Meyer, Le Mobilier de Versailles, Tome 1, Dijon, 2002, p. 136 – 141, V5885).
Un chef-d'oeuvre de marqueterie
Bien qu’Oeben s?t rendre ses lettres de noblesse à la marqueterie géométrique, Riesener donnera quant à lui un tout nouvel élan aux panneaux figuratifs. En effet il pousse cet art à un niveau de complexité hors du commun grace notamment au savant mélange de bois indigènes et exotiques ainsi qu’à l’utilisation de la fameuse loupe verte de Grenoble puisée directement dans le répertoire de Pierre Hache par Oeben. Cela est d’ailleurs attesté par des documents d’archives mentionnant un fameux procès entre Hache et l’ouvrier Fran?ois Vacher qui travaillait très probablement pour le compte d’Oeben et qui se fit juger pour le vol de ces bois précieux à Grenoble retrouvés dans l’atelier parisien.
Nous retrouvons sur notre présent meuble tous les bois qui firent la richesse de ces panneaux et la renommée de Riesener : le bois de rose, le houx, l’amarante, l’épine vinette mais aussi l’érable et la loupe. Autant d’essences et de variétés de couleurs qui permettaient notamment ce jeu d’ombre et de lumière et les plus beaux effets de trompe-l’?il.
Nous retrouvons beaucoup de similitudes entre le panneau central de la tablette illustrant l’Ecriture et celle du bureau commandé par le Comte d’Orsay pour son h?tel rue de Varenne aujourd’hui conservé à la Wallace Collection et contemporain de notre bonheur-du-jour (P. Hughes, The Wallace Collection II, Londres, 1996, p. 931, F. 102). Il porte également la signature gravée Riesener Fecit au bas d’une lettre en trompe-l’?il nous laissant imaginer qu’il s’agit d’une composition inventée par Riesener lui-même et non reprit d’un modèle issu d’une gravure comme cela était régulièrement le cas. Nous retrouvons dans les deux cas cette couverture de livre très caractéristique à motif d’entrelacs et dont la teinture des bois, parfaitement ma?trisée, permet cet effet visuel très recherché. Les plumes d’oie ainsi que les livres sont de même facture. L’originalité de notre composition réside cependant dans ce portrait d’un grand réalisme représentant Michel de Montaigne qui est, à l’image de notre présent meuble, une véritable prouesse technique.