TABLE A JEUX IMPERIALE D'EPOQUE NEOCLASSIQUE ATTRIBUEE A CHRISTIAN MEYER, RUSSIE, FIN DU XVIIIE SIECLE En placage de bois de rose, loupe d'if, buis, espenille, houx, bagosse, bouleau de karélie, amarante, le plateau en portefeuille à décor d’un vase à l’antique découvrant un cuir vert doré aux petits fers dans des encadrements de rinceaux feuillagés et quartefeuilles, les pieds en gaine dont deux télescopiques, portant une étiquette imprimée inscrite en cyrillique du palais de Pavlosk et numérotée à l'encre brune 1349/1143 am, puis portant plusieurs marques au pochoir ? AA 3374 ? et tamponné sous le plateau (aigle bicéphale et écriture gothique allemande ? … BERLIN … ? H.: 75 cm. (29 ? in.) ; L.: 94 cm. (37 in.) ; P. fermée: 47 cm. (18 ? in.)
La présente table à jeux, d’une grande élégance avec sa ligne et la finesse de sa marqueterie évoque sans conteste la paternité de Christian Meyer, ébéniste-phare à la fin du XVIIIe siècle en Russie, ayant livré une quantité particulièrement importante de meubles pour les différents palais impériaux.
Figure majeure de l’histoire du mobilier russe néoclassique, le début de vie de Christian Meyer reste cependant à ce jour encore flou. Probablement né en Allemagne, il arrive à Copenhague le 28 juin 1774. Très vite Catherine II lui passe commande et c’est alors le début d’une longue collaboration qui s’annonce. Meyer, comme on le sait, enseignera aux petits-enfants de l’impératrice le noble métier de menuisier comme le décrit longuement un courrier de la grande Catherine à son confident le Baron von Grimm du 28 mars 1784?: ??J’ai composé d’excellentes instructions pour l’éducation d’Alexandre et Constantine (…) Pendant ce temps, les nobles messieurs étudient la menuiserie sous la direction de M. Meyer, un menuisier allemand. Ils scient et planifient la majeure partie de la journée. L’apprentissage de la menuiserie est une fa?on amusante d’élever des petits tsars, n’est-ce pas?? Puis Alexandre n’est plus amusé par les jouets, ils ont été remplacés par de la menuiserie.??
A juste titre Christian Meyer est considéré comme le meilleur ébéniste de Saint-Pétersbourg à la fin du XVIIIe siècle?; il est d’ailleurs le seul à être désigné comme ??menuisier de l’impératrice??.
En 1793, Meyer compte une cinquantaine d’artisans dans son atelier lui permettant ainsi d’honorer les commandes de la cour impériale.
Très vite Christian Meyer se détourne de la fabrication de parquets luxueux pour ne fabriquer que des meubles, empruntant ainsi la voie ??impériale?? tracée par son compatriote David Roentgen (1741-1809) à Saint-Pétersbourg. Ses meubles sont alors décorés de délicates marqueteries fines.
Un inventaire de 1811 du palais de l’Ermitage décompte jusqu’à 149 meubles de la main de Christian Meyer. Ebéniste favori de la cour, il livre également pour le chateau Michel, le palais de Pavlosk ou encore pour le palais de Tsarko?e Selo.
La table à jeux dans le corpus de Christian Meyer
Citons la table à jeux livrée pour le palais d’Hiver (The Exceptional sale, Christie’s, Londres, 7 juillet 2011, lot 29)?; celle pour le palais Gatchina (vente Christie’s, Genève, 18 novembre 1974, lot 120?puis vente Christie’s, Londres, 6 juillet 2012, lot 254)
Pavlosk, un palais impérial à Saint-Pétersbourg
Le palais de Pavlosk est construit entre 1782 et 1786 par l’architecte écossais Charles Cameron pour Catherine II qui en fait cadeau à Paul, son enfant unique. Des travaux d’agrandissement sont entrepris dans la foulée jusqu’à la fin des années 1780 – début des années 1790 sous la direction de l’architecte Vincenzo Brenna.
Pavlosk, alors l’un des plus beaux palais de Saint-Pétersbourg, appartient au futur empereur de Russie, Paul Ier (1754-1801) et à son épouse Maria Feodorovna. Il règne du 17 novembre 1796 au 23 mars 1801, date de son assassinat.
La décoration intérieure est con?ue par Marie Feodorovna et très certainement inspirée par leur long voyage en Europe de septembre 1781 à novembre 1782 que le couple avait effectué sous le pseudonyme de comte et comtesse du Nord, échappant ainsi au protocole et à la lourde étiquette des cours qu’il visite. Au cours de ce périple, Marie et Paul auront accès aux plus belles collections d’arts européennes. En effet, la cour impériale sous l’impulsion de Catherine II avait à c?ur d’observer toutes les nouvelles tendances de la culture européenne et considérait que l’ameublement des palais impériaux était une question essentielle de prestige tant pour elle-même que pour la Russie dans son ensemble. ?
Les ventes d’?uvres d’art par les soviétiques
Le destin de la présente table est très certainement lié à celui du palais. Après la révolution de 1917, il est transformé en musée?; quant aux ?uvres d’art, nombreuses sont celles vendues entre 1928 et 1932 par l’Union Soviétique dans le cadre des ventes massives d’?uvres d’art. En effet, dans un contexte de manque de liquidités dramatiques (tant en devise qu’en or), le Politburo cherche fiévreusement des sources de devises. L’exportation d’objets d’art et d’antiquités est rapidement considérée comme la solution.
En 1927, le Sovnarkom propose ??d’organiser l’exportation hors URSS d’objets d’antiquités et d’objets de luxe??. En 1928 appara?t l’Antikvariat (Bureau principal pour l’achat et la vente d’antiquités). Les ?uvres cédées sont majeures, les autorités devant céder les chefs-d’?uvre pour remplir les objectifs quasi déments qu’on leur impose. Pour arriver à cela, les autorités soviétiques prennent soin d’écarter conservateurs ou historiens d’art. Pjatakov, gouverneur de la Gosbank, est des plus explicites lorsqu’il expose son point de vue?: ??Pour réussir à venir à bout du sabotage de de l’intelligentsia qui occupe tous les postes dans ce secteur, dans les musées, dans l’art etc, il faut mettre à la vente et à la sélection des objets des gens qui n’y comprennent rien??.
Ces ventes se font alors directement aux étrangers, marchands et commissionnaires se rendant en Russie, soit par l’intermédiaires de maisons de ventes aux enchères et principalement Rudolf Lepke en Allemagne.
Naturellement de telles exportations étaient confidentielles. Elles furent d’ailleurs longtemps cachées et même après la mort de Staline, on attribuait à la guerre, aux incendies et autres catastrophes naturelles, la perte de la partie du patrimoine des musées – que l’on avait monnayée.